Vipassana: voyage initiatique
Il n’est pas toujours nécessaire d’aller très loin pour sortir de sa zone de confort et se dépayser complètement. Pour cela j'ai découvert un endroit idéal, accessible à tous. C’est le Centre de méditation Vipassana du Québec à Montebello. Il s'agit de dix jours de méditation dans un complet silence dans le but d'éradiquer totalement les impuretés mentales. Vipassana, qui signifie «voir les choses telles qu'elles sont réellement», est une des plus anciennes techniques de méditation de l'Inde.
Laissez-moi vous raconter comment s'est déroulé mon voyage intérieur:
Jour 1 : Ça gratte.
C’est ma deuxième expérience à Vipassana. J’ai tant aimé la première que j’y suis revenue aussitôt que j’ai pu avoir un congé de dix jours. J’ai hâte de voir comment je vivrais cela cette fois. J’ai fait le voyage vers Montebello avec, oh surprise, deux intervenantes, comme moi. Il faut dire que les intervenants sont une grosse proportion de la clientèle du Centre. À donner de soi autant, il n’est pas étonnant d’avoir un besoin viscéral de se recentrer et de se ressourcer.
Nous arrivons toutes excitée. Première étape, se débarrasser de tout le superflu incluant le cellulaire. C'est comique de voir la difficulté de certain à s'en départir. On nous informe des règlements avant de séparer les hommes des femmes. Il sera impossible de même apercevoir un membre de l'autre sexe durant tout le séjour car, semble-t-il, cela nous distrairait de notre méditation.
Cette fois, je dors dans un dortoir de cinq lits séparés par de minces panneaux avec cinq de mes consoeurs avec lesquelles je partagerais une intimité unique et silencieuse pendant dix jours. Combien de fois avons nous l’occasion d’apprendre à se connaître sans parole. Seulement dans les petits gestes intimes du quotidien. C’est un privilège qui, mine de rien, nous rapprochera beaucoup.
Je commence mon séjour en dormant. Incroyable comment je dors. Une vraie bellette. C’est comme si j’étais en manque de sommeil depuis un an. Il faut croire qu’avec mon travail, j’ai accumulé beaucoup de stress et d’heures d’insomnie. Il y a sûrement aussi de la fuite. J’ai du mal à me soumettre au monde statique du travail. J’avais grandement besoin de me recentrer et de m’évader.
Mes premières heures de méditation se déroulent comme la première fois. Ça me démange partout! J’ai juste envie de me gratter sans arrêt et c’est très dur de rester concentrer. Nous passons les première heures à tenter de rester concentrer sur notre respiration. Rien de plus. C’est beaucoup plus difficile qu’il ne paraît de dompter notre pensée sauvage qui veut rouler dans sa roue comme un hamster et qui refuse de se laisser arrêter sur la seule pensée de la respiration. Je ne me sens pas du tout zen. Plutôt irritée, inquiète. Et si mon expérience n’est pas aussi enrichissante que la première fois? Mon dieu que nous sommes conditionnés à la performance. Même dans la méditation. C’est juste incroyable. Ah oui, se concentrer sur la respiration. C’est vrai.
Jour 2 : Apprivoiser son environnement
Il est dit que les premiers jours sont les plus difficiles. Nous en sommes encore à dompter nos pensées vagabondes sur le seul fait de respirer et de s’y concentrer. Cela suscite chez la plupart frustrations et découragements. Dur dur la vie de méditants. Mine de rien, mes pensées se promènent sur les bruits qui m’entourent dans la grande salle de méditation qui sera mon paysage durant toute la durée du séjour. Toujours installée sur un coussin, assis en lotus, au même endroit, entourée des mêmes filles. Derrière moi, des bruits vraiment bizarres. Comme si une fille était en transe. Je suis incapable de retenir ma curiosité mais je me sens obligée de ne pas me retourner. Un vrai supplice!
Jour 3 : Paranoïa du ronflement
L’autre matin, je me suis réveillée en sursaut à cause de mes propres ronflements. Misère. quel bruit! Et les autres du dortoirs qui doivent obligatoirement m’entendre. J’aurais dû, pour les préserver, demander une chambre solitaire. Trop tard, elles doivent me détester. Ça y est, je paranoe. Je les imagine toutes avec leur oreiller sur les oreilles qui donneraient pas chère de ma peau. De plus, ce matin, je me suis aperçue que ma voisine de chambre n’y était plus. Elle s’est volatilisée. N’y tenant plus, je cours voir les responsables de groupes pour leur demander la raison de son départ. Est-ce à cause de moi? Y-a-t-il eu des plaintes? Les dames, surprises de mon intrusion catastrophée me rassure en me confirmant qu’elle est simplement partie car elle trouvait cela trop dure. Qu’il n’y était nullement question de ronflements et qu’aucune plainte n'avait été reçue. Je peux donc me calmer. Bien que je sois un peu rassurée, mon inquiétude de nuire aux autres ne me quittera jamais complètement jusqu'à la fin du séjour. Cette fois, gérer le sentiment de culpabilité fera partie intégrante de mon expérience.
Jour 4 : Bonheur simple deviendra grand
Chaque jours est pareil au suivant. La routine commence par le son du gong à 6h. La journée sera composée d'une alternance de méditations libres ou dans la grande salle, parsemée de moment de liberté, ponctuée de deux repas délicieux. La journée se termine par la séance des enseignements de Goenka. 20h retour dans nos quartiers. Aucune distraction n'est tolérée. Livres, papiers, crayons...Rien, absolument rien. Dans ce contexte, la moindre chose prend une importance démesurée. La douceur de mon chapeau de poil, la senteur de ma crème à main. Je me fais des petits rituels qui m’apportent un énorme réconfort et il est hors de question que je saute un jour de ces petits bonheurs totalement insignifiants dans un autre contexte. C’est pareil pour les repas. Rien ne m’a paru aussi bon que les repas de Vipassana. Et je suis loin d'être la seule. Je regarde amusée mes voisines de table se délecter des plaisirs gustatifs avec lenteur et concentration avec comme seul bruit de fond les ustensiles qui s'entrechoquent et les estomacs qui digèrent. C’est définitivement le «highlight» de la journée. Le déjeuner et le dîner. Nous attendons toutes ce moment avec une impatience palpable, en ligne devant la porte de la salle à manger.
Jour 5 : Les enseignements de Goenka
L’autre moment attendu avec impatience, c’est les enseignements de Goenka qui nous guide dans notre démarche de méditation. Je choisi la séance en français. Plusieurs préfère l’original, en anglais, présenté sur un écran de télévision avec le vrai S.N. Goenka. Avec son fort accent indien, j’ai un peu de mal à tout saisir. En plus, j’aime bien m’installer confortablement enroulée dans ma couverture, fermer les yeux et entendre la douce voix en français. Je suis probablement plus auditive que visuelle. Ces séances sont d’une grande utilité pour nous guider dans notre cheminement. Il nous donne des repères et des trucs. Il nous rassure dans les moments plus difficiles en nous disant de faire confiance. Dans tous les cas, ce n’est pas pareil pour tous mais moi, je trouve cela très utile.
Jour 6 : Le «flow»
L’objectif, si l’on peut s’exprimer ainsi, car il n’est pas question de performance, est le «flow». Cela signifie que le corps entier est balayé par un sentiment de lumière, d’énergie. Il est comme dissous. Plus de matière. La première fois, seulement mes bras avaient cette sensation. La deuxième fois, c’était presque cela mais ça bloquait à mon estomac et je ne suis pas parvenue à dissoudre ce blocage. C’est très personnel la façon de décrire ce phénomène. En fait, c’est très difficile de le décrire en mot. C’est durant cette période que des méditants craquent. Il n’est pas rare d’en entendre éclater en sanglot, et même partir à courir hors de la salle de méditation. C’est un phénomène que j’ai du mal à comprendre. Il faut le vivre j’imagine. De grande douleurs, traumatismes, peines qui surgissent de l’intérieur et remontent en surface comme un espèce de cri primal. Lorsque cela se produit, des méditants séniors se précipitent pour les aider. C’est comme une opération chirurgicale où des couches de conscience se révèlent une a une, jours après jours. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le dix jours est obligatoire. Il est dit qu'interrompre le processus en plein milieu peut s'avérer nocif et même dangereux. Je médite en guettant mes réactions. Et si cela m'arrivait? Comment est-ce que je réagirais? En vain. Rien de tel se produit. En tout cas pas cette fois.
Jour 7 : Parfaite équanimité
J’ai été incapable de méditer ce matin. Cela me demandait trop de force mentale. Déception de moi même. Saturées que nous sommes du trop plein de silence, des fous rires fusent de partout, dans la chambre, la salle a diner, la salle de méditation. La fille à côté de moi fait de gros effort pour ne pas s'esclaffer. Complicité dans le silence, clins d’oeil, regards, c’est nouveau. Premier signe de la fin qui approche.
Jour 8 : «Sankaras » qui remontent
Je fais des rêves extrêmement confus. Sans queue nie tête. Rêves durs et tristes. Machin, ma première et dernière peine d’amour, sans coeur qui me ridiculise et me compare à sa nouvelle compagne. Anciens «sankaras» qui remontent comme des bulles de champagne pour disparaître éventuellement. Nettoyage des grandes peines. Je rejète mon âge pour continuer de m’accrocher à l’enfance. Refuser la maturité. Rêve de deuil. Deuil de l’enfance.
Jour 9 : Crocus au printemps
Les petits manifestations envers autrui surgissent ici et là comme des crocus au printemps. Les gars oublient que les filles sont à côté dans la salle à diner simplement séparés par un rideau. Leurs rots suscitent un fou rire généralisé. Dans le sentier avoisinant le centre, chacune s’est mise à créer des signes de folies, petits dessins ou mots dans la neige, bonhommes de neige. On cherche à entrer en contact. Regards qui s’échappent. On regarde un peu moins le sol, un peu plus l’horizon. Des coins de bouches se soulèvent formant de timides sourires. Ça sent la fin.
Jour 10 : Ça sent la fin.
On laisse peu à peu échapper une parole ici et la. Mais nous sommes a la fois impatiente et réticente d’entrer a nouveau dans le monde du bruit. Nous savons que l’univers qu’on occupe est précieux et rare mais nous sommes surexcitée de le vivre, d’avoir passée à travers. Des survivantes du silence ultime.
Le départ.
Ce matin, on peut parler. On se prépare à partir. Les langues se délient. C’est une véritable cacophonie. Ça fait tout drôle. On découvre enfin l’autre aspect de notre voisine de chambre ou de méditation. C’est comme un paquet qu’on développe et on découvre un cadeau. Elle sourit. Il y a des étincelles dans ses yeux. Elle vit à tel endroit, elle fait tel travail. On la croyait bête et froide. On s’est complètement fourvoyées. C’est un trésor de gentillesse. Avec Vipassana, nous sommes deux personnes en une. La silencieuse et la parlante. Nous sommes si heureuses d’avoir partagé et traversé cette expérience ensemble. Cela nous lie d’une façon toute particulière. Nous nous sentons toutes, les 50 filles, soeurs de Vipassana. C’est fort et beau. Nous nous mêlons avec la gente masculine. Nous récupérons nos cellulaires. Nous partageons notre senti des dix jours. Nous quittons une à une l’antre protecteur pour retourner dans notre quotidien avec le vif espoir de maintenir notre discipline si bénéfique de médiation de minimum vingt minutes matin et soir. Certaines y arriveront, d’autre pas. Ainsi va la vie. Nous savons que nous quittons quelques choses d’important et nous avons à la fois hâte et peur de retrouver nos vies routinières.
Pour apprendre la méditation Vipassana, il est nécessaire de participer à une retraite de dix jours. Pour s’inscrire, il faut remplir en ligne un formulaire de demande d'inscription. Pour en savoir plus, allez visiter le site www.suttama.dhamma.org.
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