Trek urbain #3: Canal Lachine, berceau de l'industrie canadienne
Trek urbain #3: Canal Lachine, berceau de l'industrie canadienne
20 kilomètres
Environ 6 heures
Départ: station de métro Square Victoria
Qui d’entre vous connaît réellement le Canal Lachine? Si comme nous, vous en avez vaguement entendu parler ou vous l’avez croisé au détour d’une route, il est fort à parier que ce trek vous intéressera. Saviez-vous que c’est ici que l’industrialisation du Canada a commencé?
Le Canal Lachine, c’est quoi au juste? Si on se reporte il y a 200 ans, la navigation à cette hauteur du fleuve était impossible en raison des rapides Sault Saint-Louis. Cette situation amènent plusieurs personnes à réfléchir à un moyen de contourner les rapides et l’idée a germé de créer un canal traversant le territoire du Lac Saint-Louis au Vieux Port pour donner accès aux coeur du continent via les Grands Lacs.
Tout au long du XVIIIe siècle, plusieurs tentatives pour le réaliser se soldèrent par des échecs (manques de fonds, attaques amérindiennes, etc). Ce n’est qu’en 1825 que le projet du canal semble prendre un véritable envol grâce à la volonté d’un groupe d'hommes d'affaire. Cependant, encore une fois, ils ne réussirent pas à réunir les capitaux nécessaires et le gouvernement reprendra le projet. Les travaux pharaoniques dureront 4 ans et furent exécutés principalement par des immigrants irlandais qui travailleront six jours par semaine du matin au soir.
Dès son ouverture, les effets sur l’économie de la ville sont spectaculaires. Elle connaîtra une ère de développement industriel sans précédent et deviendra un des ports les plus importants du continent. Près de 600 usines et compagnies s'installent sur les berges pour bénéficier à la fois de l’énergie hydraulique, de l'accès à l’eau ainsi que de la facilité des transports. Aux alentours, des quartiers d’ouvriers éclosent : Saint-Charles, Saint-Henri, la Petite-Bourgogne, Griffintown etc. Surpeuplés et insalubres, ces quartiers sont aussi des lieux de vie riches et animés. À son apogée, le canal est emprunté par environ 15 000 navires par année et son industrie emploie près de 25 000 travailleurs.
L’essor industriel sera continu jusqu’à l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959. Débute alors une lente dégradation qui durera 40 ans et qui entraînera la fermeture d’usines, le chômage et la désertion de la population (qui diminuera de moitié) vers les banlieues. En novembre 1970, le canal est complètement fermé à la navigation.
À partir de 1996, le site est reconnu comme site patrimonial. Il était moins une car les richesses historiques et le paysage industriel étaient en voie de disparaître. En effet, la plupart des bâtiments et des infrastructures qui le longent ont été détruits ou convertis en espaces commerciaux et résidentiels. Grâce à d’importantes subventions et des efforts d’aménagement et de revitalisation, principalement fait par Parc Canada, le désastre put être évité. Depuis, le canal reprend vie. Il est devenu un endroit reconnu et branché. Les bateaux de plaisance et les cyclistes ont remplacé les navires et les trains de marchandises. La piste cyclable bénéfice d’une réputation mondiale et plusieurs anciennes usines sont reconvertis en loft et condo pour le grand bonheur de jeunes professionnels qui s’y installent et qui donnent une toute nouvelle vibe aux quartiers ouvriers.
Ses quartiers
Un voyage sur le canal Lachine est un voyage dans le temps où l’on peut imaginer la vie dans les quartiers ouvriers limitrophes. La vie des gens de ces quartiers a été et reste influencée par leur proximité avec le canal: sa construction (qui attire des milliers de travailleurs et leurs familles), la période industrielle, les premières grèves et luttes ouvrières du pays (en 1843, 15 000 travailleurs ont déclenché une grève historique), les fermetures d’usines et le chômage, la désertion des quartiers et maintenant, le renouveau économique avec la piste cyclable, l'accès au navires de plaisance et la conversion des usines en condo de luxe. Les principaux quartiers que vous aurez la chance de traverser sont :
Pointe-Saint-Charles: plus ancien quartier de Montréal après le Vieux-Montréal. Il accueille, à compter de 1821 (année où débute la construction du canal) un grand nombre de travailleurs irlandais qui fuient la famine dans leur pays. Encore aujourd'hui, on y retrouve beaucoup de descendants d'Irlandais.
Saint-Henri: De 1881 à 1901, la population de ce quartier passe de 6 400 à plus de 21 000 habitants. Avec sa population ouvrière très francophone, Saint-Henri devient le quartier ouvrier-type canadien-français décrit par Gabrielle Roy dans le roman Bonheur d’occasion et montré dans le documentaire À Saint-Henri le 5 septembre réalisé par Hubert Aquin en 1962.
La Petite-Bourgogne: Situé entre Griffintown et Saint-Henri, ce quartier connaît une vie culturelle foisonnante alimentée par la présence importante de la communauté noire qui s’y installe dès le début du XXe siècle. En effet, la Petite-Bourgogne est devenue le quartier des porteurs ferroviaires afro-canadiens. À cette époque, les compagnies de chemin de fer canadiennes embauchaient des porteurs noirs lorsque les premiers trains Pullman firent leur entrée en sol canadien. Dans les années 1930, le quartier accueille de nombreux musiciens jazz, dont Oscar Peterson.
Griffintown: Ce quartier fut aussi largement peuplé par des Irlandais et est reconnu aujourd’hui comme le symbole de la gentrification de Montréal. L’installation des entreprises comme la Cité du multimédia, l'ETS (l'École de technologie supérieure) et le Quartier de l'innovation, bâties en partie au-dessus des ruines de l’ancien quartier ouvrier, en sont en partie responsables. Ces changements ont entraîné la convoitise de nombreux promoteurs immobilier qui réalisent ou ont réalisé des projets de conversion d’anciennes usines en condo de luxes.
Durant votre parcours, soyez attentifs car vous pourrez apercevoir plusieurs vestiges de l’époque industrielle: Les écluses, les déversoirs, les ponts de toutes sortes, les anciennes usines etc. Ces traces du passé sont partout, parfois très visibles, parfois dissimulées au détour de chemin. Bon parcours!
Début du trek:
Vous voici à la sortie du métro Square Victoria, au centre du quartier des affaires. Descendez la rue McGill en direction du Vieux-Port. Si vous n’avez pas encore dîner, vous pouvez commencer votre trek en savourant le meilleur fish and ship en ville au Brit & Chips, situé au 433 de la rue McGill.
Marché des Éclusiers
Une fois bien rassasié, descendez la rue jusqu’au Marché des Éclusiers. Vous y trouverez un marché public et un café terrasse des plus agréables, Si vous n’avez pas mangé au Brit & Chip, c’est aussi un bel endroit pour vous ravitailler avant votre grand départ.
Vous voilà au point de départ du circuit. vous apercevrez les écluses 1 et 2 du canal et en face, de l’autre côté, se trouve la bande de terre qu’on nomme Pointe du Moulin. Remarquez le silo à grains numéro 5, vestige de la grande activité d’exportation de grains vers l’Europe. Avec le développement de l’Ouest canadien et de sa production de blé, Montréal devient le point central d’exportation de céréales. Le port entreprend alors la construction d’immenses élévateurs de grains. Il y en a eu 5 mais seul résiste l’élévateur no 5 construit dans le port en 1903. Il cesse d’être utilisé en 1994. Aujourd’hui, il est listé comme monument patrimonial et on cherche actuellement idées et investissements pour lui donner une nouvelle vocation.
Vous apercevrez alors, un remorqueur des Grands Lacs de 1907, le Daniel McAllister qui est en service dans le port de Montréal de 1967 aux années 1980. Il est depuis restauré et amarré en permanence dans le bassin.
Continuez votre route et vous apercevrez un édifice emblématique de Montréal, grâce à son affichage néon Farine Five Roses que l'on peut apercevoir pendant la nuit à plusieurs kilomètres de distance. Un néon qui illumine une des principales entrées de la ville (autoroute Bonaventure). L’usine Five Rose a été construit en 1946 par la compagnie Ogilvie Flour Mill, le plus important meunier de l'Empire britannique.
Vous arrivez finalement aux Bassins Peel, qui étaient appelés antérieurement «bassins à farine». Construits avec la première extension du canal, ces deux bassins servaient au transbordement du grain et de la farine destinés à l'export. Cette zone est aujourd'hui sujette à déchirement entre des projets de grandes envergures et des groupes sociaux qui luttent pour la construction de logements sociaux.
Vous voici devant le Pont ferroviaire et la tour Wellington. Cette dernière servait à deux usages, un à contrôler la circulation ferroviaire, deux, à actionner l'ouverture et la fermeture du pont levant. Le pont, construit en 1912, est en arrêt depuis 1930 et est resté au milieu du canal à ne rien faire pendant 80 ans. Nous ne savons pas quel sera l’avenir du pont, cependant, la tour sera, quant à elle, préservée et transformée en un projet culturel consacré au thème de l’urbanité.
Bien qu’il y ai des intérêts et des attraits des deux côtés du canal, à cette étape, nous vous suggérons de vous rendre sur le côté sud dès que cela vous sera possible car il nous a semblé plus intéressant pour cette portion du trek.
Une des particularités du circuit est la présence d’anciens bâtiments d’usines et vous vous trouvez maintenant dans la zone (Griffintown-Pointe Saint-Charles) où on en retrouve la plus forte concentration encore debout. Au plus fort de la période industrielle, il y en a eu près de 600 le long de tout le canal, couvrant une multitude de secteurs comme les constructions navales, les forges, les scieries, les élévateurs et meuneries, les tanneries, les distilleries et brasseries, les cours à bois, la production du sucre, de coton et de caoutchouc.
Aujourd'hui, elles sont presque toutes démolies mais certaines restent encore en opération. Certaines aussi sont soit désaffectées ou transformées en édifices à condo de luxe atteignant des prix inimaginables. Restez attentifs aux grands panneaux sur le chemin qui vous permettront de les identifier. La piste cyclable, la proximité du centre-ville et l'accès du canal aux navires de plaisance en fait un des endroits les plus convoités du pays pour les promoteurs et les bien-nantis. Certains y voit un renouveau et d’autres, le symbole par excellence de la gentrification.
La première usine que vous apercevrez est sur votre gauche. Un immense bâtiment de briques rouges de toute beauté. Anciennement, la Raffinerie de sucre Redpath, fondée en 1854, elle est la première raffinerie de sucre canadienne. Elle importait la canne à sucre directement des Antilles et occupait une centaine d'ouvriers qui produisent mensuellement 3000 barils de sucre. Elle a fermé ses portes après l’ouverture de la voie maritime et depuis 2004, les somptueux lofts Redpath y sont aménagés.
Juste à côté se trouvent les condos Nordelec. Construite en 1930, l’usine Nordelec employait 4 686 personnes à son apogée. Ceux-ci produisaient des câbles et des circuits pour divers appareils électroniques. Ceux-ci étaient expédiés par train grâce aux voies ferrées qui entraient directement dans le bâtiment. Depuis 1975, l’édifice de la Nordelec a changé de mains à plusieurs reprises et appartient maintenant à une entreprise qui gère 1300 unités de condominiums privés et commerciales.
Vous voici rendus à l’écluse no 3 l’Écluse Saint-Gabriel. Accolé à l’écluse, le Parc Archéologique de la Pointe-des-Seigneurs préserve les fondations de l'un des premiers pôles industriels en Amérique du Nord.
Vous verrez ensuite un bel édifice rouge qui hébergeait anciennement la Belding-Corticelli. Sa production, dont le principal produit était la soie, était axée sur la fabrication de galons, de rubans, de passementeries et de lacets. En 1982, la Belding-Corticelli a fermé ses portes et l'édifice a été abandonnée pendant cinq ans avant d’être transformée en condominiums en 1987.
De l’autre côté se trouve la Stelco. Fondée en 1868, la Montreal Rolling Mills produisait entre autres des fers à cheval et des clous. La fusion de cette compagnie avec plusieurs autres clouteries et aciéries autour du début du siècle est à l’origine de la Steel Company of Canada, familièrement appelée la Stelco. En 1985, l’usine a fermé et trois ans plus tard elle fut, elle aussi transformée en condos.
Vous apercevrez devant vous le pont métallique des Seigneurs (1898), un pont tournant, fixe depuis 1968. À l’époque, comme la majorité des bateaux étaient à voile, on n'avait qu'à démâter pour pouvoir passer. Cette situation est devenue problématique avec l'arrivée de bateaux à cheminées. On a alors construit des ponts pouvant pivoter sur eux-mêmes, dont celui-ci. Vous remarquez durant tout le trajet, la présence d’une vingtaine de ponts en tout genre qui enjambent le canal (ferroviaires, pivotants, fixes, piétonniers, tunnels, échangeurs, etc.)
Par la suite, vous vous retrouverez dans une zone agréable et animée avec beaucoup de piétons, de vélos, d’espaces verts, etc. Du côté sud, vous êtes au coeur du quartier Pointe-Saint-Charles et, du côté nord, dans le quartier Saint-Henri.
Voici ensuite le Pont Charlevoix, un autre pont tournant du canal. Après celui-ci se trouve un café, un endroit pour louer des embarcations et un endroit pour la location de vélo. Saviez-vous que c’est ici, sous vos pieds, que passe le tunnel de la ligne verte du métro de Montréal?
Vous pourrez, de là, traverser le pont piétonnier Atwater pour aller faire un tour au magnifique marché du même nom. Un incontournable. Le bâtiment, de style art déco, abrite le marché Atwater construit en 1933 sur le site d’une ancienne cour à bois. Au fil du temps, l’endroit a servi à la fois de tribune pour les discours de Camillien Houde (ancien maire de Montréal) et d’aréna pour des matchs de lutte locaux. À la fin des années 60, la pression des résidents du quartier a empêché la transformation de l’édifice en centre récréatif. Cela a permis à l'endroit de devenir ce qu’il est aujourd'hui, un magnifique marché public.
Commence ensuite une portion plus tranquille où vous marcherez des kilomètres de sentier sans vraiment voir autres choses que des vélos, des usines, des commerces, des zones résidentiels et des ponts. C’est un peu monotone, c’est vrai. Cependant, cela reste très agréable car la nature y est omniprésente. Vous pourriez choisir d’arrêter votre trek ici et de revenir sur vos pas ou de louer un vélo. À notre avis, ça vaut la peine de continuer pour ce qui se trouve au bout (le Parc René-Lévesque). Si vous choisissez de continuer, il nous semble préférable de rester au sud et de longer la rue Saint-Patrick. Voici les principaux points d’intérêt que vous croiserez:
La Dominion Textile, fondée en 1880, produisait à son apogée près de la moitié de tout le textile de coton manufacturé au Canada. Elle ferme ses portes en 1966. Aujourd’hui baptisée Château Saint-Ambroise, elle a été convertie en lofts commerciaux depuis 1999.
Vient ensuite la 4e écluse de Côte Saint-Paul. Pas très loin de là, du côté nord, se cache un endroit inusité, urbain et branché à souhait, Riverside. Le refuge des jeunes du coin et de leur chiens, caché à l’ombre de deux silos. Traversez un pont piétonnier et aller y faire un tour pour voir et boire un cocktail au paradis des Instagrammer. À ce point, la route est encore longue. C’est une bonne occasion de reprendre votre souffle.
Vous voilà reparti et vous verrez surtout un chapelet de ponts en tous genres, dont l'Échangeur Turcot (pour les autoroutes 15 et 20), le Pont Monk, un bel arche en acier. Vous verrez aussi, la Grue Lasalle-Coke, une ancienne tour de chargement du charbon de l’usine du même nom qu’on a choisie de garder pour préserver le caractère historique industriel du coin. Vous devriez traverser à cet endroit car le côté nord est inaccessible pour le moment en raison de construction. Vous arriver ensuite aux ponts Lafleur et Gauron (deux ponts adjacents). Vient ensuite l’échangeur de l’autoroute 138 et enfin, après une très longue marche, vous arrivez dans la dernière portion du trek, le parc René-Lévesque.
Le fun commence comme on dit. Sur cette section, il y a comme trois bandes de terre qui avancent dans le lac Saint-Louis qui est en fait un élargissement du fleuve. Sur la bande de terre complètement à droite, au nord, on retrouve la cinquième écluse et le Lieu historique national du Commerce-de-la-Fourrure-à-Lachine. Le parc de la bande de terre du centre abrite le musée de Lachine et le Port de Plaisance. La bande de terre complètement à gauche, au sud, vous emmène au Parc urbain René-Lévesque.
Ce qui nous a frappé au premier abord, en arrivant sur place c’est le nombre de pêcheurs partout, camouflés dans tous les recoins. Nous avons appris par la suite que la pêche y est très bonne. On peut y pêcher des crapets, des perchaudes mais surtout, des maskinongés, un espèce de gros brochet.
Nous nous sommes finalement dirigés tranquillement vers le parc. À l'entrée, un commerce propose des rafraîchissements et de la crème glacée (hors prix, il faut le dire). Nous avons alors découvert à notre grand contentement un parc urbain magnifique, véritable tour de Babel où des familles originaires de tous les coins du monde se rassemblent pour des barbecues, des parties de pêches, des promenades, des fêtes extérieurs. Était-ce l’euphorie d'être enfin arrivé à destination comme lorsqu’on arrive au sommet d’une montage? Car dès notre entrée nous avons été charmés par l’ambiance. Le parc est un véritable reflet de la beauté de la diversité de Montréal et de sa douceur de vivre. En bonus, le parc est parsemé d'oeuvres d’art extérieurs. Ils appellent cela le musée de plein air de Lachine. On y trouve même une navette fluvial reliant Lachine et Châteauguay (qui n’était cependant pas en opération au moment de notre passage). Nous nous sommes tranquillement dirigés vers la pointe au milieu de tout ce beau monde et de cette belle nature. Rendus à la pointe, nous sommes descendus sur les rochers au bord de l'eau pour manger notre pique nique accompagnés des oiseaux et des marmottes.
Petit moment de grâce qui termine en beauté notre 3e trek urbain. Il nous fallait cependant revenir. Nous sommes sortis du parc en direction de l’agglomération de Lachine pour prendre un autobus qui conduit au métro.
Nos recommandations: prenez le temps de bien vous imprégner de ce lieu unique, riche de l’histoire industrielle du pays et ne manquez pas notre prochain trek. Vos commentaires sont toujours appréciés.
Pendant la pandémie, je voyage dans ma ville!